Avis d’expert par Albert Reynaud, Directeur général & co-fondateur de Semana
Que révèle l’appétence pour le télétravail ? Ce qui fut une modalité d’urgence est devenue en quelques mois seulement une commodité appréciable puis, une exigence. Un retour en arrière semble de fait exclu.
Un puissant alignement des planètes
Posons le constat suivant : le télétravail impacte le taux d’occupation des bureaux. En télétravaillant à raison d’au moins 2 jours par semaine, les salariés n’occupent plus les locaux de l’entreprise qu’à hauteur de 60 %, de manière hebdomadaire. Au regard d’un loyer en moyenne de 10 000 € par employé et par an dans les grandes agglomérations, il devient opportun de réinvestir de manière plus stratégique.
Selon la Banque de France, les indicateurs de long terme suggèrent que les marchés anticipent une utilisation durable du télétravail. En corollaire, le secteur réagit de manière significative en pratiquant des ajustements des prix, conduisant notamment à un ralentissement structurel du marché de l’immobilier d’entreprise. Le marché surréagit-il ? Rien n’est moins sûr. Cela dit, lui aussi devra s’adapter aux besoins de l’entreprise et de ses salariés, dont on commence seulement à percevoir la nouvelle nomenclature.
Avec l’arrivée à échéance de nombreux baux commerciaux, c’est maintenant que l’on assiste, en partie, au renversement des rapports. L’entreprise se réorganise et repense le déroulement de ses activités différemment, avec beaucoup de créativité.
Vers un hypercentre attractif
Plusieurs options s’offrent à l’entreprise pour gérer intelligemment la vacance : sous-louer une partie des bureaux, absorber la croissance de l’effectif dans la même capacité de bureaux ou encore, réorganiser les locaux vers plus d’espaces collaboratifs pour adapter l’accueil des salariés aux nouvelles modalités de travail.
Si aucune option n’est véritablement privilégiée sur une autre, l’alternative d’occuper des espaces plus restreints mais mieux pensés au fonctionnement du travail hybride séduit beaucoup.
Contrairement au schéma nord-américain, qui connaît un essoufflement des prix de l’immobilier dans le centre des villes, les entreprises françaises ont tendance à quitter la périphérie au profit du centre-ville, lequel se montre plus attractif aux yeux des collaborateurs. Moins d’espace de travail mais plus d’accès aux services, aux loisirs, aux différents moyens de transport comme les déplacements doux. Le travail hybride entraîne dans son sillage un panachage des activités quotidiennes et compose avec la volonté écologique collective.
Reste à imaginer le bureau hybride. Si les modalités du télétravail sont généralement organisées au sein de chartes ayant fait l’objet d’accords portant sur l’équipement et la distribution du temps, elles ne disent souvent rien de l’esprit que cette nouvelle organisation insuffle et de la façon de l’accueillir.
L’entreprise hors les murs
Contre toute attente, les jeunes générations ne sont pas les plus demandeuses de solutions de télétravail. Beaucoup entrent en entreprise par la voie de l’alternance et depuis 2 ans, exercent principalement leur métier en ligne depuis des logements souvent trop étroits et exigus, n’échangeant que sporadiquement avec leur maître d’apprentissage. Moins dotées également, leur espace de vie n’offre pas de perspectives de travail particulièrement réjouissantes.
A contrario, les travailleurs expérimentés ont développé une vraie appétence pour le télétravail, comme en témoignent les difficultés de recrutement des entreprises n’offrant aucune souplesse sur ce point. Enfin, et plus largement, si le full remote n’est presque jamais plébiscité (ni par les managers, ni par la direction, ni par les collaborateurs), une version équilibrée, comme le flex office, tend à devenir une norme d’entreprise.
Alors se dessine une ligne de partage tout à fait symptomatique du refus de reproduire les errances auxquelles l’on a pu s’abandonner avant et juste après les confinements successifs. Le domicile devient le lieu de la concentration et des échanges intra-personnels. Il remet une dose d’intimité que l’on avait perdue dans l’open space au détriment de l’efficacité et certainement de la santé. Le bureau n’apparaît plus comme le lieu de production par excellence, mais celui de la socialisation utile et de la réflexion collective.
Vient alors le moment pour l’entreprise d’accueillir ces nouvelles pratiques, en proposant moins de bureaux, dédiés ou non, et plus d’espaces de réunion taillés à la mesure des équipes, en veillant à fournir aux parties les moyens de se retrouver facilement. Comme un miroir convexe, le flex office fait paraître l’open space plus grand qu’il ne l’est en réalité.
L’entreprise ainsi se fait et se défait, au gré des regroupements réguliers et du partage d’un espace qui n’a de cesse de se diversifier et paradoxalement, de s’étendre hors les murs. En atteste la fréquence élevée des séminaires, symposiums et congrès auxquels on prend plaisir à accueillir, outre les équipes, les partenaires et les clients.